Brasser une Barleywine
Par son profil hors norme, la Barleywine est un vrai défi de brassage. Tout au long de sa fabrication, les exigences de cette bière mettront à rude épreuve nos compétences de brasseur, mais nous dévoilera un résultat unique à la hauteur de nos efforts et de notre patience.
Une des principales caractéristiques de ce style est la densité initiale très élevée. Cette dernière doit se situer entre 1,080 et 1,120, ce qui crée un environnement hostile pour les levures lors de la fermentation. Le challenge est donc de préparer un moût le plus accueillant possible pour les levures, malgré sa forte concentration en sucres, afin qu’elles puissent travailler dans de bonnes conditions et qu’elles ne soient pas stressées.
Qu’est-ce qu’une Barleywine?
Avant toute chose, il est essentiel de répondre à cette question : qu’est-ce qu’une Barleywine ? Le mot Barleywine, vin d’orge en français, fait référence à sa forte teneur en malt et à son haut volume d’alcool qui peut se rapprocher de celui d’un vin. Ce n’est qu’une image à garder en tête, car il s’agit bel et bien d’une bière avec son amertume issue du houblon et sa fermentation issue des céréales.
Les Barleywines se divisent en deux styles bien distincts, la Barley Wine Anglaise (généralement écrit avec un espace au milieu) et la Barleywine Américaine. La première est plus portée sur le malt que sur le houblon, avec des saveurs et des arômes de céréales plus intenses, plus complexes. Tandis que la seconde est un équilibre entre des saveurs richement maltées et une amertume forte, avec des arômes de houblon bien présents.
Pour de meilleures descriptions, n’hésite pas à consulter le guide des styles BJCP. Une traduction a été faite par la communauté du forum brassageamateur.com disponible ici : Guide de styles BJCP.
De manière générale, les deux styles sont assez ouverts, ce qui laisse plusieurs possibilités de brassage et un grand nombre de recettes. Pour notre première de ce style, nous avons choisi de créer une recette simple dans ses ingrédients (disponible ici : Recette Barley Wine Anglaise), afin de se familiariser avec cette fermentation délicate.
Le temps d’affinage d’une Barleywine est beaucoup plus long qu’une bière « classique ». Elle va évoluer avec le temps et c’est une bière qu’on peut laisser vieillir pendant des années. Nous nous sommes fixés comme objectif de la déguster dans 8 mois, le minimum recommandé étant d’environ 6 mois. Alors avec toute cette patience qu’il va nous falloir, autant qu’elle soit bonne et que nous mettions toutes les chances de notre côté !
Voici comment nous avons procédé pour dompter ce style et avoir des levures heureuses et épanouies ! Tout du moins chose que nous espérons…
L’installation et les volumes de brassage
La première difficulté, ou du moins le point auquel il faut prêter attention, est la gestion des volumes. Une Barleywine demande une quantité de grains plus importante par rapport aux autres styles. En comparaison à une pale ale, la quantité nécessaire peut être facilement doublée. À cela s’ajoute un temps d’ébullition rallongé, qui peut durer entre 2 et 5h selon la recette, ce qui augmentera considérablement le volume d’évaporation et donc le volume de moût avant ébullition. Dans la plupart des cas l’installation du brasseur sera sous dimensionnée pour fabriquer le même volume de bière qu’habituellement.
À cela il existe plusieurs solutions. La première, celle que nous avons choisie, est de réduire la quantité finale de bière par deux. Dans notre cas, 10 litres au lieu de 20 litres. Cela nous laisse donc une marge pour chaque étape, sans que les cuves ne soient pleines à raz bord. Une autre solution consiste à ajouter de l’extrait de malt, liquide ou en poudre, après l’empâtage et le rinçage des drêches afin d’augmenter facilement la densité du moût sans trop augmenter la quantité de grains. Il est également possible de réduire la quantité d’eau, à environ 2L/kg de malt, ce qui rendra la trempe plus épaisse, ou encore de faire deux empâtages consécutifs.
Au final, peu importe la solution que tu choisiras, cela dépendra bien entendu de tes envies. Le tout est de bien se préparer avant le jour du brassage afin de prévoir au mieux les quantités en fonction de ton installation.
Dans la plupart des cas, les logiciels de brassage permettent de calculer les volumes nécessaires pour faire la recette, c’est le cas de BeerSmith que nous utilisons. Les valeurs sont théoriques et ne correspondront pas exactement aux valeurs mesurées le jour du brassage, surtout avec une Barleywine qui pousse chaque étape à l’extrême !
Pour te donner une idée des volumes, prenons comme exemple notre recette pour 20 litres de bières avec 10.4 kg de grains et une ébullition de 120 minutes.
Selon BeerSmith, l’empâtage avec 2.5 litres d’eau par kilo de grains, occuperait un volume d’environ 32.8 L et l’ébullition, quant à elle, aurait une évaporation de 7 litres, soit un volume de départ d’environ 28 L de moût. En ce qui nous concerne, nous serions aux capacités maximum de notre installation, d’où le choix de diviser les quantités par deux.
L’ébullition
L’ébullition joue un rôle important dans la fabrication d’une Barleywine car c’est elle qui va développer les saveurs du malt et qui va lui donner sa couleur plus ou moins foncée. Contrairement aux autres styles, la couleur finale de la bière aura plus tendance à être définie par le temps d’ébullition que par la couleur du malt utilisé. Sauf exceptions, seuls les malts pâles tels que le Pale Ale, le Maris Otter ou encore le Munich sont souhaités pour ce style.
Le temps d’ébullition pourra donc être très variable, allant de 1h à 3h, voir 5h dans des cas plus extrêmes. Comme évoqué lors de l’article sur l’ébullition, la réaction de Maillard provoquera la formation de composés bruns aromatiques pouvant se rapprocher des saveurs biscuitées et caramélisées. Plus l’ébullition sera longue, plus la production de ces composés augmentera.
Le houblon sera ajouté pendant les dernières minutes de l’ébullition, selon la recette. Avec une ébullition de deux heures, par exemple, le houblonnage se fera au cours de la dernière heure.
L’empâtage et le rinçage des drêches
L’objectif à la fin de l’empâtage et du rinçage des drêches est d’obtenir un moût avec une bonne densité et un bon volume afin d’anticiper l’ébullition et son évaporation. Encore une fois, si l’on prend notre recette en exemple, nous devons atteindre une densité d’environ 1.064 pour 17.4 L de moût avant l’ébullition dans le but d’obtenir 10 L à 1.112 après l’ébullition. Des outils pour calculer simplement les rapports volumes densités sont disponibles en ligne, celui-ci nous a bien aidés : Dilution Calculator.
La quantité d’eau à utiliser pour le rinçage des drêches est variable, elle va dépendre de l’efficacité de l’empâtage et du volume de moût souhaité avant l’ébullition. Bien souvent, il n’est pas nécessaire de récupérer tous les sucres résiduels des drêches, au risque de trop diluer le moût. L’idéal est de mesurer la densité et de s’arrêter lorsqu’on se rapproche au mieux de notre objectif volume/densité. Pour ne pas gâcher les sucres encore présents dans les grains, certains brasseurs les récupèrent avec un second rinçage pour réaliser une deuxième bière beaucoup plus légère.
La fermentation
Une fois la densité élevée atteinte, le nouvel objectif est de faire travailler les levures dans un environnement le moins hostile possible, car si elles ne sont pas contentes elles le font savoir : soit arrêt de la fermentation, soit production de faux-goûts. Pour éviter cela, deux points nous ont semblé essentiels lors de nos recherches : une population de levure suffisamment grande et une bonne oxygénation du moût. Le mieux que l’on puisse faire est de faire un starter (pied de cuve en français) et d’utiliser un aérateur de moût.
De manière générale, ensemencer le moût avec la juste quantité de levure est une très bonne habitude à prendre, avec une Barleywine c’est obligatoire. Les levures doivent être assez nombreuses pour dévorer tous ces sucres. Nous avons créé l’outil de brassage suivant afin de déterminer la quantité nécessaire en fonction du volume, de la densité et de la forme de la levure : Outil de brassage – Ensemencement du moût.
La solution la plus économique, pour ce type de bière est de faire un pied de cuve (appelé starter en anglais) afin d’augmenter la population avant l’ensemencement.
Concernant l’aérateur de moût, il n’est peut-être pas indispensable à la réalisation d’une bonne Barleywine, cela reste à démontrer et une expérimentation serait intéressante à ce sujet. Cependant, les levures auront besoin d’oxygène, plus que d’habitude étant donné les conditions, pour se reproduire et bien démarrer la fermentation. Nous avons préféré en utiliser un pour mettre toutes nos chances de notre côté. Son utilisation est simple, doit se faire après le refroidissement et permet d’envoyer de l’oxygène propre, dans le moût, grâce à son filtre très fin. La partie immergée devra être désinfectée.
Le choix de la levure a aussi son importance, car certaines souches ne sont pas assez résistantes à l’alcool. Ce critère de sélection est indispensable pour obtenir une fermentation complète et un haut volume d’alcool. Il est tout à fait possible de mélanger plusieurs souches de levure pour obtenir un profil de bière complet. Par exemple, on pourrait imaginer pour une Barley Wine Anglaise une souche anglaise pour développer des saveurs et des arômes typiques de ces bières et une souche plus neutre avec une grande tolérance à l’alcool pour mener la fermentation jusqu’au bout.
La capacité d’atténuation de la levure choisie aura également une influence sur la densité finale de la bière. Pour une Barleywine, cette dernière se situe aux environs de 1,030. Au-dessous de cette valeur la bière sera plus sèche et forte en alcool, au-dessus elle sera plus douce en bouche.
Garde et vieillissement
La Barleywine est une bière qui a besoin de temps pour s’affiner et dévoiler toutes ses saveurs. Une garde entre 4 à 6 mois minimum est recommandée avant de pouvoir la déguster et quelques mois de plus pour pouvoir pleinement l’apprécier. Pour notre première recette nous nous sommes fixés 8 mois de patience, avant de pouvoir la découvrir et commencer à suivre son évolution dans le temps. Un mois en cuve de fermentation et 7 mois en bouteilles. Ce sont des bières qui vieillissent très bien et qui seront toujours bonnes des années plus tard si elles sont bien conservées. Ce style se prête très bien au vieillissement en fût.
Voilà tout ce que nous avons pu apprendre au cours de nos recherches sur la fabrication d’une Barleywine. Le brassage de la première recette est terminé et nous avons déjà hâte de pouvoir la découvrir et la déguster. Plus que 8 mois à patienter !
Si toi aussi tu as des astuces pour mener à bien cette fabrication ou des constatations personnelles à propos de ce style, n’hésite pas à nous raconter tout ça en commentaire, nous serions ravis d’en discuter !
Sources :
- Brewing Barleywine : Tips from the pros, Barleywine, Big, Bad Barleywine, BYO
- Yeast Pitch Rates Explained, Brewer’s Friend
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BILLON
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Michael
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