L’empâtage par décoction
C’est en cherchant un nouveau style de bière à brasser que nous sommes tombés sur la méthode d’empâtage par décoction.
Cette pratique peut être intrigante par son aspect historique et technique mais la vraie question est : Qu’apporte-t-elle à notre bière ?
En effet, il est important de savoir quel impact elle aura sur le résultat final en termes de saveurs, mais aussi de comprendre comment cela fonctionne sur le plan chimique.
Si comme nous, jeune brasseur, tu souhaites en savoir un peu plus sur cette méthode d’empâtage et aiguiser ta technique, nous allons voir ensemble la théorie, comment procéder, quelles sont les réactions chimiques puis la pratique avec le brassage d’une délicieuse (si tout se passe comme prévu) Doppelbock.
Le principe de décoction
Pour faire simple, le principe de l’empâtage par décoction est de prélever une partie de la maïsche (aussi appelée trempe), de la faire bouillir et de la réincorporer à la maïsche principale (dans la cuve d’empâtage) afin d’augmenter la température générale de façon à passer au palier suivant.
Voici une illustration qui t’aidera à mieux comprendre :
Pour remettre la méthode de décoction dans son contexte, elle fût mise au point à la fin du 18ème siècle en Allemagne afin de mieux extraire les sucres du malt qui n’était pas toujours de bonne qualité. À l’époque, cette méthode avait pour avantage de pouvoir effectuer un palier d’empâtage sans thermomètre, car la température du palier s’ajuste en fonction de la quantité de maïsche prélevée.
Pourquoi la décoction ?
Aujourd’hui, nous avons à notre disposition du malt de très bonne qualité et tout un tas d’outils qui nous permettent de mesurer une température et de la stabiliser facilement. Alors, on pourrait se poser la question : Pourquoi réaliser une décoction ? La réponse peut être sujette à débat avec ses avantages et ses inconvénients mais il y a trois raisons pour lesquelles nous avons souhaité essayer cette méthode :
- La première est le goût : la décoction aurait le pouvoir de renforcer les saveurs du malt. Et c’est justement cela que nous souhaitons vérifier lors de notre mise en pratique.
- La seconde est la curiosité et l’envie d’apprendre. Nous partons du principe qu’il n’y a qu’en faisant qu’il est possible de découvrir de nouvelles choses et de s’améliorer.
- Et la troisième est l’envie de respecter un style de bière selon la tradition.
En pratique
La méthode de décoction employée aujourd’hui n’est plus vraiment la même qu’autrefois. Elle a été modernisée, s’est adaptée à la qualité du malt et à notre équipement, qui eux ont bien évolué. L’important, selon nous, est de garder la parallélisation des trempes et d’effectuer un palier d’ébullition pour la décoction.
Pour mettre en pratique cette méthode nous avons choisi de brasser une Doppelbock, une bière typiquement allemande de fermentation basse avec un caractère bien malté. Bien entendu, il existe plusieurs profils d’empâtage et choix possibles pour s’essayer à la décoction. Comme par exemple effectuer un seul palier ou plusieurs paliers, mixer décoction et chauffe directe, à toi d’ajuster en fonction de tes envies. Nous utiliserons ce profil d’empâtage à titre d’exemple et qui nous permettra de bien illustrer cette technique :
Le détail de la recette est disponible ici : Doppelbock
Le profil d’empâtage traditionnel est une décoction à trois trempes avec un premier palier Phytase (Acid Rest en anglais) qui permet d’acidifier la maïsche. Celui-ci s’effectue à une température d’environ 36°C et peut durer des heures pour une réelle efficacité. L’action des enzymes Phytase aura pour effet de produire de l’acide phytique ce qui abaissera le pH entre 5 et 5.5. Ce palier était autrefois utilisé par les brasseurs de Pilsen, cependant, aujourd’hui, il peut être facilement remplacé en mesurant et en ajustant le pH avec des sels minéraux. Nous l’avons tout de même conservé pour notre première fois, avec une durée plus courte, afin de nous donner un bon prétexte pour faire la première montée en température par décoction (et aussi imiter la tradition !).
Nous avons choisi de n’effectuer que deux trempes, c’est-à-dire une double décoction, pour éviter que l’empâtage ne dure trop longtemps. Le dernier palier, pour la désactivation des enzymes, est simplement effectué par chauffe directe. Il est également possible d’effectuer une simple décoction en supprimant le premier palier, cependant le caractère malté risque de moins ressortir dans le résultat final.
Voici les étapes que nous avons choisies afin de réaliser une montée en température par décoction :
1. Prélèvement de la trempe et chauffe dans une cuve séparée
Le volume de la trempe va dépendre de la température du palier ciblé : plus elle sera volumineuse, plus la température sera élevée après la réincorporation. Il est facile de déterminer ce volume avec un logiciel de brassage tel que BeerSmith. Généralement, ce volume se situe entre un tiers et un quart du volume de la trempe principale. Le prélèvement doit se faire au fond de la cuve d’empâtage afin de récupérer une trempe épaisse.
2. Palier amylase
Il est recommandé d’effectuer un palier amylase lors de la montée en température de la trempe en décoction mais ce n’est pas obligatoire. Ce palier de saccharification, à environ 68-70°C, va transformer une partie voir la totalité de l’amidon avant l’ébullition. Les malts de nos jours ont un bon pouvoir diastasique (capacité à convertir l’amidon) et il est possible dans le cas d’une triple décoction qu’il n’y ait déjà plus d’amidon dans la dernière trempe. Dans ce cas-là, ce palier est alors inutile. Un test à la teinture d’iode permet de vérifier facilement la présence d’amidon.
3. Ébullition
L’ébullition peut durer entre 15 et 45 minutes selon la recette et le style de bière. Une bière brune aura tendance à avoir un temps d’ébullition plus long afin de renforcer sa couleur et ses arômes. À l’inverse, pour une bière blonde, qui se veut plus sèche et plus claire, le temps sera seulement de 15 minutes. La trempe doit être remuée régulièrement pour éviter que ça ne brûle au fond de la cuve.
4. Montée en température
Une fois la décoction terminée, il suffit de la réincorporer à la trempe principale afin de passer au palier suivant.
L’empâtage par décoction nécessite plus d’eau car il dure plus longtemps et une partie s’évapore avec l’ébullition. Pour une bière blonde on peut compter 5L/kilo de grains et pour une bière plus foncée seulement 3L/kilo. Il est alors possible d’arriver à de hauts volumes, surtout pour une Doppelbock qui demande beaucoup de grains. Bien vérifier avant de se lancer que la cuve d’empâtage est suffisamment grande.
Le temps total de brassage peut facilement être allongé d’une heure voir plus, selon la recette, par rapport à un empâtage classique. N’hésite pas à prévoir ce temps et à bien t’organiser la veille du brassage. Un bonne préparation et anticipation, surtout pour la synchronisation des deux cuves, ne pourra être que bénéfique et te permettra d’être plus serein.
Cette méthode est le plus souvent utilisée pour des Pilsners, des Bocks, des Doppelbock, des Oktoberfests… bref toutes les lagers allemandes, mais elle peut également convenir à des ales et aux autres styles de bière. D’ailleurs nous serions bien curieux de voir le résultat sur une Irish Red Ale par exemple !
Un petit peu de chimie
Lors d’une décoction il se passe plusieurs réactions chimiques, dont une qui va renforcer les saveurs du malt : c’est la réaction de Maillard. Et oui, encore elle ! Tout comme lors de l’ébullition, elle est responsable du brunissement du moût et développe des composés aromatiques pouvant se rapprocher du caramel. Le temps d’ébullition de la trempe en décoction joue donc un rôle sur le résultat final de la bière. Il est important de maintenir cette ébullition pendant minimum 15 minutes pour un effet perceptible, voir bien plus longtemps pour un effet bien marqué.
Une chose qui pourrait nous interpeller avec cette méthode est l’extraction des tanins. Avec un empâtage classique (par infusion ou par chauffe directe), il est conseillé de ne pas dépasser une température de 80°C afin de ne pas les extraire dans le moût. Or, lors d’une décoction, cette température est largement dépassée et pour autant cette extraction ne se fait pas en excès. L’explication à cela est le pH relativement faible de la trempe épaisse en décoction, elle contient plus de grains de malt ce qui aura pour effet d’acidifier le moût. La solubilisation des tanins est favorisée lorsque la température et le pH sont élevés. Lors du rinçage des drêches, par exemple, le pH aura tendance à augmenter.
Si tu le souhaite, il est possible de contrôler le pH de la trempe en ébullition et de l’abaisser si besoin (à environ 5,2) avec du sulfate de calcium. La température pourra alors atteindre les 100°C sans avoir une bière fortement astringente tout en gardant un léger goût tannique rappelant la décoction.
L’ébullition aura aussi pour effet de détruire les enzymes contenues dans la trempe en décoction mais cela n’aura pas d’incidence sur la saccharification de l’amidon dans la trempe principale. Il en restera suffisamment dans cette dernière pour poursuivre la transformation.
Nous avons essayé de dégrossir le sujet de la décoction et nous espérons que cela t’aura donné envie aussi de te lancer dans cette technique ! Bien entendu nous ne sommes pas des experts en décoction, par conséquent, il est possible qu’on soit passés à côté de certaines subtilités. Tu trouveras quelques liens (en anglais) si tu souhaites approfondir le sujet.
Si tu as des questions ou des précisions à apporter, n’hésite pas nous serons ravis d’en discuter dans les commentaires.
Sources
- Decoction Mashing, Decoction Mashing Explained, BYO
- How To Brew, John Palmer
- Phytase, Acide Phytique, Réaction de Maillard, Tanin, Wikipedia
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