L’empâtage : brasser en tout grain
L’empâtage est, pour nous, l’une des étapes les plus agréables dans le processus de fabrication d’une bière. En plus d’être indispensable à la fermentation, c’est le premier pas vers la création de notre propre bière. Des odeurs de pain, de biscuit, de céréale s’en dégageront et se joindront à la partie.
Nous allons voir à travers cet article comment le réaliser, quel est son rôle et quelles sont les différentes possibilités.
Allez c’est parti ! On se retrousse les manches et voyons ensemble comment réaliser ce fameux empâtage.
Qu’est-ce que l’empâtage ?
Avant de rentrer dans le vif du sujet, nous allons voir le rôle de l’empâtage.
Le but de l’empâtage est d’extraire les sucres présents dans les céréales. Cela consiste à mélanger les grains de malt concassés à de l’eau, afin d’obtenir une pâte appelée la maïsche (ou également trempe ou brassin) et de faire chauffer le tout. À la fin de cette étape, tu obtiendras un délicieux jus de céréales sucré, appelé le moût, qui contient des matières dites fermentescibles. Les levures seront alors capables de transformer ces sucres en alcool et en CO2. Cette étape d’empâtage est donc indispensable pour la fermentation.
Pour bien comprendre les futurs points abordés dans cet article et l’importance de chaque étape dans l’empâtage, nous nous devons de parler brièvement de biochimie. Les deux composés à retenir sont les suivants :
- L’amidon, contenu dans le malt, est primordial car c’est lui qui est à l’origine des sucres fermentescibles. L’amidon est une molécule complexe composée de plusieurs molécules de glucose. Seulement, en l’état, il n’est pas fermentescible, les levures ne sont pas capables de le transformer. Il faudra alors découper ces molécules en composés plus simples.
- Les enzymes, naturellement présentes dans le malt, sont des protéines dotées de propriétés catalytiques, c’est-à-dire qu’elles vont permettre à la réaction biochimique de se produire. Il existe une multitude d’enzymes différentes avec des propriétés qui leur sont propres. Selon l’enzyme sollicitée le résultat de la réaction ne sera pas le même. Lors de l’empâtage, l’action qui nous intéresse le plus est la transformation de l’amidon en composés plus simple et les enzymes vont nous aider à rendre cela possible.
Maintenant que nous avons fait connaissance avec ces deux molécules, la suite sera plus simple et plus facile à comprendre.
Le concassage des grains
Tu l’auras bien compris, le concassage consiste à casser les grains en petits morceaux, ce n’est pas une surprise. Cependant, cette action est importante car elle permet l’action des enzymes en rendant l’amidon accessible. Si le grain n’est pas concassé, les enzymes ne pourront pas faire correctement leur travail car elles ne pourront pas atteindre l’amidon.
Le concassage du grain se fait à l’aide d’un moulin à céréale. Les deux modèles les plus utilisés par les brasseurs amateurs sont : le moulin à rouleaux et le moulin à disques. Le premier permet un écrasement de qualité sans trop endommager l’écorce du grain et il est possible de le motoriser facilement à l’aide d’une perceuse. Le second a l’avantage d’être moins cher, mais il est plus lent car le concassage se fait à la main.
Dans les deux cas, il faudra régler l’écartement des rouleaux ou des disques car la finesse de la mouture a son importance. L’écrasement idéal produit beaucoup de grains cassés en 4-6 morceaux, peu de farine, peu de grains entiers et endommage le moins possible l’écorce du grain. Une mouture trop fine rendra la filtration difficile et apportera de l’astringence à la bière. Les écorces du malt vont agir comme un second filtre à la fin de l’empâtage lors de la filtration, si elles sont trop coupées elles ne seront plus efficaces et leurs tanins indésirables seront extrait plus facilement dans le moût. À l’inverse, si la mouture est trop grosse, les grains ne seront pas assez concassés et l’amidon ne sera pas accessible. L’efficacité (aussi appelé rendement) de l’empâtage sera alors mauvais.
Certains vendeurs proposent une option de concassage ce qui peut être une bonne alternative avant d’investir dans un moulin. À savoir qu’une fois concassé le malt se conserve mal et ne peut pas être stocké longtemps.
Les paliers
Comme nous l’avons évoqué précédemment, les principales actrices lors de l’empâtage sont les enzymes. Le moyen de solliciter une enzyme et de déclencher son action, est de lui offrir une température à laquelle elle pourra travailler correctement. Il est alors possible d’effectuer différents paliers de températures lors de l’empâtage. Chaque palier favorisera l’action d’une enzyme et aura un résultat qui lui est propre sur la bière.
Dans le cas d’un empâtage avec plusieurs paliers, il faudra toujours augmenter la température pour passer au suivant. Il n’est pas possible de revenir en arrière, car une fois que la température maximum tolérée par l’enzyme est dépassée, cette dernière est dégradée et ne sera plus efficace.
Palier protéinique : transformation des protéines
Ce palier a pour but d’éclaircir la bière, de la rendre moins trouble. La réaction biochimique consiste à transformer (à “découper”) les protéines responsables de l’opacité en molécules plus simples. Cette transformation se fait grâce à l’action des enzymes protéinases qui sont très actives à cette température.
Le palier protéinique est utile lorsque la recette contient des céréales autres que du malt (orge cru, blé malté, flocons, etc…) ou lorsqu’elle contient du malt à 6 rangs qui est plus riche en protéines.
Ce palier est facultatif car les protéines sont importantes pour la tenue de la mousse, il est donc utile de le faire seulement dans le cas où la recette contient beaucoup de protéines et qu’on souhaite éclaircir notre bière.
La température de ce palier est d’environ 50°C pendant 10 à 30 minutes, selon le résultat que nous souhaitons obtenir.
Palier de saccharification
Derrière ce nom un peu barbare se cache une réaction biochimique simple à comprendre : c’est la fameuse transformation de l’amidon en sucres plus simples. Deux enzymes sont sollicitées lors de ce palier avec un résultat différent pour chacune. La première est la bêta amylase, son action est de transformer l’amidon en maltose qui est un sucre simple fermentescible. Ce sucre issu du malt est indispensable à la fermentation et sera transformé en alcool, un vrai régal pour les levures ! La seconde enzyme est l’alpha amylase, son action est de transformer l’amidon en dextrines, des sucres non fermentescibles qui apporteront du corps à la bière.
L’action de la bêta amylase se fait à des températures proches de 64°C et l’alpha amylase à des températures proches de 69°C. Lors du palier de saccharification, les deux enzymes seront sollicitées mais il est possible de favoriser l’une ou l’autre selon le profil de bière recherché. La température cible choisie dépendra alors de ce qu’on souhaite obtenir, une bière avec du corps et peu d’alcool ou inversement. On pourrait définir les plages de températures comme suit :
- Environ 64°C : Corps mince
- Environ 67°C : Corps moyen
- Environ 69°C : Corps élevé
Le temps d’infusion peut varier entre 45 et 80 minutes, selon le malt utilisé. L’objectif de ce palier est de transformer tout l’amidon, il sera alors terminé lorsqu’il n’y aura plus d’amidon dans la maïsche. Il existe un test simple avec de la teinture d’iode pour savoir s’il reste de l’amidon ou pas, on en reparle plus bas.
La plupart des brasseurs choisissent de n’effectuer qu’un seul palier de saccharification avec une température cible, mais il est tout à fait possible de le couper en deux paliers bien distincts. Un palier à environ 64°C pour l’enzyme bêta amylase et un second à environ 69°C pour l’enzyme alpha amylase.
Palier de désactivation des enzymes
Ce dernier palier, aussi appelé mash-out, a pour objectif de stopper toute activité enzymatique en détruisant les enzymes présentes dans la maïsche. Malgré le palier de saccharification, il peut rester de l’amidon dans la maïsche et le palier de désactivation des enzymes évitera que cet amidon ne soit transformé de façon non maîtrisée lors du rinçage des drêches. Le moût sera alors plus stable.
Le mash-out n’est pas un palier obligatoire.
La température de ce palier est d’environ 76°C pendant 10 minutes.
Seul le palier de saccharification est obligatoire, car il est indispensable au bon déroulement de la fermentation.
L’étape d’empâtage aura besoin d’au minimum un palier de saccharification. Les autres paliers sont un choix pour le brasseur. On parlera alors d’empâtage mono-palier ou d’empâtage multi-palier.
Les méthodes d’empâtage
Plusieurs méthodes sont utilisées pour maintenir une température stable et pour passer au palier suivant. Chaque méthode possède des avantages et des inconvénients et dépendra des préférences du brasseur.
Par chauffe directe
Comme son nom l’indique, cette première méthode d’empâtage consiste à chauffer la cuve d’empâtage directement avec une source de chaleur, tel qu’un brûleur à gaz, une plaque électrique, vitrocéramique etc… L’avantage de cette méthode est de pouvoir facilement passer au palier suivant en augmentant la puissance de chauffe. L’inconvénient est qu’il est plus difficile d’obtenir une température stable et homogène. Il faudra alors contrôler régulièrement la température, ajuster le feu et brasser afin de répartir la chaleur (ou de faire baisser la température de la maïsche).
L’empâtage par chauffe directe peut être une bonne option lorsqu’on débute (pour découvrir l’empâtage avec peu d’équipement), si on ne possède qu’une seule cuve pour l’empâtage et l’ébullition et/ou si l’on souhaite effectuer plusieurs paliers.
Par infusion
La méthode d’empâtage par infusion est simple et demande moins d’attention. Elle consiste à faire infuser les céréales dans une cuve isolée où la température baissera le moins possible lors du palier. Les grandes glacières sont souvent utilisées pour cette méthode, car elles sont bien isolées et sont capables de garder une température constante pendant longtemps. L’eau chaude et les céréales sont ajoutées et mélangées dans cette cuve. Pour atteindre la température cible du palier il faudra que l’eau soit légèrement plus chaude afin de compenser la température basse des céréales. La plupart des logiciels de brassage sont capables de calculer la température nécessaire de l’eau selon la température du palier et du grain.
L’inconvénient de cette méthode est la montée en température. La seule façon de le faire est alors d’ajouter de l’eau chaude, avec un volume et une température appropriée, ce qui augmentera le volume de la trempe. On peut vite se retrouver avec une cuve remplie à raz bord. L’empâtage par infusion est idéal lorsqu’on souhaite brasser en mono-palier.
Par décoction
La décoction est une méthode d’empâtage particulière car, contrairement aux deux méthodes précédentes, elle n’a pas pour but de maintenir une température stable mais de passer rapidement au palier suivant. Le principe est de prélever une partie de la maïsche, de la faire bouillir et de la réincorporer à la maïsche principale (dans la cuve d’empâtage) afin d’augmenter la température de façon à passer au palier suivant.
Si tu souhaites en savoir un peu plus, nous avons écrit un article à ce sujet : Empâtage par décoction.
Quelle que soit la méthode d’empâtage utilisée, par infusion ou par chauffe directe, la quantité d’eau à utiliser est d’environ 2,5 à 3L/kg de céréale.
Les mesures : pH et teinture d’iode
Deux mesures peuvent être faites lors de l’empâtage. Elles sont rapides à effectuer et ne sont pas très compliquées.
Le pH
Le pH est une notion que l’on retrouve régulièrement dans les étapes de fabrication d’une bière (lors de l’empâtage, du rinçage, de l’ébullition, de la fermentation…) et fera l’objet d’un article avec plus de détails et de précisions. Mais il est tout de même intéressant d’évoquer brièvement le sujet pour l’empâtage.
En plus d’une température adaptée, les enzymes ont besoin d’un pH optimum pour être efficace. La valeur souhaitée du pH se situe entre 5.2 et 5.6, ce qui favorisera l’activité enzymatique et la transformation de l’amidon. La mesure peut s’effectuer avec des bandelettes, qui ont l’avantage d’être faciles et rapides d’utilisation, ou avec un pH mètre, qui nécessite d’être calibré mais qui sera plus précis. Le prélèvement se fait dans la maïsche, environ 5 minutes après le début de l’empâtage.
Il existe plusieurs solutions pour abaisser le pH si nécessaire, la première est l’utilisation de malt acide. Le malt va naturellement faire baisser le pH, mais certains ont un pouvoir acidifiant plus fort que d’autres. Une autre solution, que nous utilisons, est l’acide lactique 80%. Quelques millilitres de la solution suffisent pour être efficace. Nous avons pour habitude d’ajouter une demi-cuillère à café (voir un quart) si nécessaire et ensuite de refaire une mesure.
La teinture d’iode
Le test à la teinture d’iode permet de constater rapidement la présence ou non d’amidon dans la maïsche. La procédure est la suivante : prélever une cuillère à soupe de moût, le déposer dans un petit récipient, ajouter une goutte de teinture d’iode, si le mélange devient bleu/violet c’est que le test est positif et qu’il reste de l’amidon. Le prélèvement se fait à la fin du palier de saccharification afin de déterminer si tout l’amidon a été transformé. Le cas échéant il suffira de prolonger le palier de quelques minutes jusqu’à ce que le test soit négatif.
Attention, la teinture d’iode n’est pas comestible, il ne faut pas reverser le prélèvement dans la cuve d’empâtage.
En résumé
Si nous devions résumer le processus d’empâtage en quelques mots, ce serait comme ceci : Concasser les grains avec une mouture ni trop fine ni trop grosse, faire chauffer l’eau à une température légèrement supérieure au premier palier, incorporer les grains à l’eau et remuer. Mesurer le pH et l’ajuster, effectuer le ou les paliers en brassant régulièrement et faire un test d’amidon à la fin du palier de saccharification. Finalement, on peut se dire que cette étape est très simple, et c’est vrai ! Mais le plus important est de comprendre ce que nous faisons afin d’améliorer et de perfectionner nos recettes.
Maintenant que l’étape d’empâtage est terminée, il va falloir passer à l’étape suivante : la filtration et le rinçage des drêches. La filtration permet de séparer le moût des drêches et le rinçage a pour but d’extraire les sucres restant contenus dans les grains. Le mot « drêches » désigne les résidus obtenus après l’empâtage, un mélange de grains concassés et d’écorces de céréales.
L’étape de filtration et de rinçage mérite à elle seule un article consacré à ce sujet, c’est pourquoi nous n’allons pas en parler maintenant. Mais promis, ce sera l’objet du prochain article sur le brassage !
Pingback: Foire aux questions empâtage - Comment brasser sa bière ?()